Notre civilisation occidentale comme beaucoup d'autres s'est construite en faisant mémoire de son passé, en tentant de tirer les leçons de sa longue Histoire
LE SALON BEIGE, mars 2023 : Redécouvrir le rapport chrétien au temps
FRANCE CATHOLIQUE, Constantin de Vergennes, N°3806 24 mars :
Le rationalisme instauré par la philosophie des Lumières a vidé le Ciel et rabattu sur terre l'espérance des hommes : elle n'est plus celle de l'au-delà, mais devient temporelle. Cette espérance, alimentée par la raison, a trouvé son incarnation la plus concrète dans le progrès, technique ou médical, assimilé à un progrès moral. Le rapport au temps est alors devenu la poursuite d'un avenir forcément radieux, nourrie à la fois du discours théorique capitaliste et de sa promesse d'une accumulation matérielle sans fin; du discours marxiste et de son aspiration à une société égalitaire et sans États, qui serait le paradis sur terre; et de celui des religions séculaires que furent le communisme et le nazisme. Mais l'effondrement du XXe siècle a conduit à un effondrement de cette religion du progrès: après la Shoah et Hiroshima, difficile de prétendre que le progrès technique est forcément moral! court.
À cette crise du progrès s'ajoute une crise de l'avenir liée au réchauffement climatique et à la crise écologique. Puisque le passé n'a rien à nous apprendre et que l'avenir nous échappe et risque d'être une catastrophe, il ne nous reste qu'un présent, porté par le numérique, qui nous pousse à nous replier dans un instant T, seul à même de pouvoir satisfaire notre désir. On veut faire durer autant que possible une existence vidée de son sens. Nous aurions beaucoup à gagner à redécouvrir le rapport chrétien au temps. Nous, chrétiens, avons besoin de retrouver une forme de liberté face à cette condition de tant de nos contemporains, à laquelle nous n'échappons pas. Si nous nous recentrons sur le Christ, nous pouvons retrouver un rapport dynamique et responsable face à l'histoire. Sans cela, nous prenons le risque de la désertion face à l'histoire.
L'histoire suscite un fort engouement de la part d'un public de plus en plus large. Au-delà du plaisir de rappeler les épopées et les faits et gestes des héros, cette discipline participe à la construction de notre identité culturelle, politique et spirituelle. Ce retour en grâce de l'histoire ne doit pas pour autant dissimuler la tentation de toujours lui assigner un sens. Celle-ci ne tient pas compte de l'épreuve des faits, des drames accumulés au nom du Progrès. La manipulation et l'idolâtrie ne sont jamais loin.
L'historien a une visée à la fois plus modeste et plus grande. Artisan appliqué, il se doit d'être humble et rigoureux, mais il pressent aussi la haute vocation de l'histoire : bien au-delà de ses usages politiques et sociaux, elle nous renvoie à la question de la vérité. Elle y contribue, comme toutes les disciplines qui s'efforcent de dire quelque chose de l'homme et de sa liberté.