Contributions de Christian Caujolle, Sylvie Kauffmann, Arseni Roguinski et Nicolas Werth.
" Sur le long chemin menant du dévoilement à la compréhension de ce crime de masse, le présent ouvrage de Tomasz Kizny constitue un jalon capital. " Nicolas Werth
Entre 1937 et 1938, les répressions atteignent un pic en URSS : Staline fait assassiner des centaines de milliers de personnes sur tout le territoire. Cette période, qui commence seulement à être documentée suite à l'ouverture partielle des archives, est aujourd'hui désignée comme la Grande Terreur.
De 2008 à 2011, Tomasz Kizny mène une véritable enquête sur cette vague de violence de l'État soviétique contre ses propres citoyens. En Russie, en Ukraine et en Biélorussie, en collaboration avec l'Association Memorial, il réalise un travail photographique qui documente le crime et présente une topographie de la Terreur : lieux d'exécutions et de fosses communes, photographies des proches des disparus, objets retrouvés lors des fouilles...
Le coeur du livre consiste en une série de bouleversants portraits de condamnés, pris dans les geôles du NKVD après leur arrestation et quelques jours avant leur exécution. Il s'agit d'une puissante accusation documentaire du totalitarisme soviétique, qui vient donner un visage aux victimes de Staline.
Catégories | Livres Histoire Histoire du monde Biographies / Témoignages |
Éditeur | Noir sur Blanc |
Reliure | Broché cousu, couverture souple avec rabats |
Parution | Mars 2013 |
Nombre de pages | 412 |
Hauteur | 31.5 |
Largeur | 28 |
Épaisseur | 2.9 |
Poids | 2.840 kg |
Le plus vaste massacre orchestré par Staline fut longtemps un secret d'Etat. Un livre-photo exceptionnel réalisé par Tomasz Kizny, puisé dans les archives, donne enfin un visage et une mémoire aux victimes.
Le volume est impressionnant. Par son format (31,5 x 28 cm), son poids et la photo de couverture : le visage, effaré, d'Alekseï Grigorievitch Jeltikov. Il est vrai que ce simple serrurier de Moscou a probablement été photographié le 31 octobre 1937, jour de sa condamnation à mort et veille de son exécution. Alekseï Grigorievitch compte parmi les centaines de milliers de victimes d'un des épisodes les plus sanglants de l'histoire de l'URSS : la Grande Terreur (août 1937-novembre 1938).
Des centaines de milliers de "saboteurs et d'espions"
En seize mois, 750 000 citoyens soviétiques furent exécutés après avoir été condamnés à mort par un tribunal d'exception à l'issue d'une parodie de jugement, soit 50 000 exécutions par mois, 1 600 par jour. Dans le même laps de temps, 800 000 personnes furent condamnées à une peine de dix ans de travaux forcés et envoyés au goulag. L'historien Nicolas Werth, l'un des contributeurs de cet extraordinaire album photo du stalinisme, donne à la Grande Terreur sa juste mesure : "Vingt ans après la grande révolution socialiste d'Octobre, le régime soviétique perpétra le plus grand massacre jamais mis en oeuvre en Europe en temps de paix." Le plus grand et le plus secret. L'instruction, le jugement (à huis clos), l'exécution, rien ne devait être su, alors qu'au même moment (janvier 1937-mars 1938) les procès de la "vieille garde léniniste", les funestes "procès de Moscou", rendus publics, constituaient un formidable leurre.
Officiellement, les victimes de la Grande Terreur étaient les "ennemis intérieurs", suspectés de rallier un jour la "cinquième colonne de saboteurs et d'espions". En réalité, tout le peuple russe fut visé, avec tout de même plus de risques pour les koulaks rescapés de la purge précédente et les citoyens soviétiques d'origine polonaise, allemande, finlandaise. Mais pourquoi donc cet acharnement ? Depuis le début de la guerre d'Espagne et la signature d'un "pacte anti-Komintern" signé par l'Allemagne, l'Italie et le Japon, Staline était convaincu de la marche inéluctable vers la guerre. Depuis la révolution d'Octobre, il avait appris le rôle puissamment déstabilisateur de celle-ci. En ordonnant ces "opérations secrètes de masse", il prenait les devants, il faisait de la prévention prophylactique.
L'expression de la peur, de la résignation, de la révolte
Les victimes de la Grande Terreur ont été doublement condamnées, à la mort et à l'oubli. Avec l'ouverture, en 1992, des archives du Politburo et "des ordres opérationnels du NKVD", leur mémoire a resurgi. Et grâce au travail de titan du photographe polonais Tomasz Kizny, qui a collecté les clichés de dizaines de milliers de photos d'identité judiciaire, c'est leur visage qui renaît, avec un nom, un état civil. Boris Nikolaïevitch Rozenfeld, Aleksandr Aleksandrovitch Lopatine, Anastasia Alekseïevna Bitsenko... sur plus de 100 pages, ils défilent, exprimant tour à tour "la peur, le désespoir, la résignation, parfois l'étonnement, l'incrédulité, ou alors la révolte et le mépris", souligne Tomasz Kizny.
La Grande Terreur avait son histoire, écrite il y a à peine cinq ans, avec notamment L'Ivrogne et la marchande de fleurs. Autopsie d'un meurtre de masse (Tallandier), de Nicolas Werth. Elle a désormais un visage et une topographie, grâce à ce trombinoscope de petites photos de 2 x 2 cm, à la photographie systématique des lieux de massacre et à la collecte des ultimes témoignages. "Notre passé est imprévisible", disait le poète et Prix Nobel russe Joseph Brodsky. Grâce à La Grande Terreur en URSS, livre militant et nécessaire, il l'est de moins en moins.